Nous sommes constamment exposés (Pr Brice Appenzeller)

Le génome et ses altérations ne peuvent totalement expliquer les variations temporelles de l’incidence ou de la prévalence de certaines maladies chroniques que l’on observe depuis quelque 50 ans. Le concept d’exposome a été récemment développé par Christopher Wild afin de souligner l’importance des facteurs non génétiques dans la survenue des maladies.

Ce concept renvoie classiquement à l’ensemble des expositions auxquelles l’homme est soumis, depuis sa conception (donc depuis la vie in utero) jusqu’à sa mort, ainsi qu’à l’interaction entre les caractéristiques propres de l’individu (son génotype et son phénotype) et son environnement (1). L’International Society of Exposure Science définit plus concrètement l’exposome comme l’ensemble des contacts entre un agent et une cible biologique, au niveau d’une surface d’exposition et au cours d’une période déterminées. En quelque sorte, l’exposome est la part de l’environnement en contact avec l’organisme.

Ces agents ou facteurs environnementaux sont nombreux et divers dans leur nature – physique (radiations, UV, chaleur…), chimique (pesticides, solvants, hydrocarbures…) ou biologique. Ils proviennent de multiples sources, en grande partie issues des activités humaines (alimentation, mode de vie, activités professionnelles, pollution des milieux…), et varient au cours du temps (1).

En raison de la multiplicité de ces facteurs d’exposition et de leur dimension dynamique, l’identification des expositions, la compréhension de leurs interactions et le développement d’outils fiables permettant d’évaluer les associations possibles de cet exposome avec des évènements de santé sont évidemment très complexes.

L’identification des expositions évolue avec les progrès technologiques. Par exemple, l’expertise de notre laboratoire est centrée sur les agents chimiques et le développement de méthodes «multi-résidus», qui combinent différentes approches afin de multiplier le nombre de polluants analysés tout en conservant la sensibilité requise. Ainsi, nous sommes capables de doser de 150 à plus de 200 composés différents dans un seul échantillon biologique tel qu’une mèche de cheveux ou un prélèvement de sang ou d’urine. En 2010, dans une petite étude menée sur le personnel du service, nous avons retrouvé en moyenne 7 pesticides sur un éventail de 22. Douze ans plus tard, nous étions capables de cibler 261 substances, et nous en avons retrouvé en moyenne 94 auprès d’un échantillon de la population générale (en France).

Il est évidemment impossible d’être exhaustif, mais l’objectif est de se rapprocher le plus possible de la réalité des expositions, en particulier des agents dont l’influence est la plus significative. À ce sujet, on distingue les effets séparés des diverses substances des effets qu’elles ont lorsqu’elles sont mises ensemble. C’est le fameux effet cocktail où les toxicités s’expriment à des niveaux beaucoup plus faibles, soit de manière additive (les diverses substances touchent les mêmes cibles), soit de manière synergique (différentes cibles sont affectées).

À côté des expositions, il y a la réponse de la cible. Des prédispositions/protections d’origine génétique modulent la sensibilité interindividuelle aux effets de l’une ou l’autre substance. En outre, pour un même individu, certaines périodes de la vie, dites de vulnérabilité (périodes in utero, néonatale et de la petite enfance, adolescence, ménopause et andropause), ainsi que la présence de comorbidités/facteurs de risque peuvent s’avérer critiques (en raison de moindres défenses ou d’impacts plus importants pour une exposition donnée).

Pour les scientifiques, l’exposome est un cadre nouveau pour l’étude des causes environnementales des maladies chroniques et de maladies encore mal comprises. Au-delà de l’aspect scientifique, les enjeux sont notamment environnementaux et sanitaires (santé publique, biomonitoring, toxicologie, médecine du travail…). Selon des estimations, en 2015, 9 millions de décès prématurés dans le monde, soit plus que le VIH, la tuberculose et le paludisme réunis, étaient imputables à des maladies causées par la pollution. Or les effets sur la santé humaine de l’exposition à des polluants émergents (par exemple de nouveaux pesticides ou nanoparticules) ne sont pas encore connus, tout comme les maladies qui en découleront. Il est donc important de décrire les expositions auxquelles sont soumises des populations particulières, comme les enfants (voir la référence 2 par exemple, qui s’est intéressée à 256 enfants luxembourgeois), et de les suivre afin d’observer l’apparition de pathologies et d’analyser les éventuels liens de causalité.

In fine, ce nouveau domaine de la recherche met en lumière une toute nouvelle dimension de l’histoire des patients. L’inclusion de l’évaluation de l’exposome dans la médecine personnalisée permettra de mieux identifier les causes des maladies mal comprises et d’améliorer la prévention des maladies, ainsi que les soins et les traitements proposés aux patients. 

C’est sur ce dernier objectif que nos travaux de recherche actuels se concentrent.

  • Head of Human Biomonitoring Research Unit at Luxembourg Institute of Health

  • 1. David A, et al. Med Sci 2021;37:895-901.

    2. Iglesias-Gonzales A, et al. Environment International 2022;165:107342.

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